vendredi 17 juillet 2009

Bretonnité et résistance: Les Morts qui ne parlent pas

L'article que l'on va lire a été écrit avant la première guerre mondiale par le poète Jean-Pierre Calloh. Nous avons cru n'y devoir rien changer.
Jean-Pierre Calloh, fils de pécheur, naquit à Groix le 24 juillet 1888 et fit de fortes études au Séminaire. Il ne put entrer dans les ordres comme il l'aurait tant désiré, et dut rentrer dans la vie laïque ; comme beaucoup d'autres jeunes Bretons sur lesquels leurs amis fondaient les plus grandes espérances pour la régénération de La Bretagne, il est mort au cours de la Grande Guerre le 10 Avril 1917.
Il avait commencé à écrire très jeune sous le nom de Bleimor, et s'était rapidement affirmé comme un écrivain hors pair. Son manuscrit de poèmes : "Ar en Deulin", confié par lui à son ami M.P.Mocaer, pour qu'il en prépara l'édition au cas ou il lui arriverait malheur .

" Ce peuple (breton) est décidément le dernier de l'Europe pour le patriotisme. Il est au dessous des Lapons." On m'a écrit cela. J'ai répondu : " Il ne faut pas trop lui en vouloir. Le fait s'explique aisément : c'est un peuple qui a perdu ses chefs. "
Et nous allons, si vous le voulez bien, passer la revue de nos chefs perdus:

1- Les Nobles,
L.Paul Dubois, dans son livre sur l'Irlande contemporaine, parle à tout le moment de la "démocratie" irlandaise. Il a raison et il a tort. Tort parce que le terme prête à confusion, et peut faire croire à la vitalité de l'idée démocratique en Irlande, alors qu'il n'en est rien, sans doute, en dehors de quelques fénians d'Amérique qui rêvent d'on ne sait quelle "République irlandaise" dans le jeu de laquelle, à cette heure, il n'y a guère d'atout. Et il a raison, parce que, là-bas, le fait, l'état démocratique existe. Autrement dit : il n'y a pas d'aristocratie nationale en Irlande, et c'est le malheur des irlandais.
Ce malheur est le notre aussi. On n'attend pas de nous quelque dissertation bien sentie sur la nécessité d'une élite, nécessité que personne, aujourd'hui, ne conteste . Bornons nous à poser que, dans des pays aussi individualistes que le notre, aussi réfractaires à l'association (qui peut seule, dans certains cas, remplacer l'aristocratie), cette nécessité est plus pressante que partout ailleurs. En fait, tant qu'elle posséda une aristocratie digne de ce nom, -jusqu'à la Chouannerie,- la Bretagne a fait figure de nation. Depuis qu'elle l'a perdu, elle est comme un bateau sans boussole, à la merci de tous vents.
Il y eut des tentatives de relèvement, certes ! mais qui n'aperçoit le danger ici ? Une aristocratie, c'est la conscience d'une nation. En son absence, les divers mouvements nationaux, à quelque profond besoin qu'ils répondent, sont désarmés devant les illuminés, les incapables et les fous, à qui il suffit d'un peu d'audace pour s'imposer et s'emparer du gouvernail. Cela fut durement constaté en Irlande. On me souffle que la même chose arriva parfois en Bretagne. Mais glissons.
Il y aurait beaucoup à dire sur nos gentilshommes bretons d'ancien régime. Beaucoup de mal et beaucoup de bien. Nous croyons, toutefois, que l'historien impartial, synthétisant leur oeuvre, trouvera que si, incontestablement, elle eut pu être meilleure, en somme, elle fut bonne. Ils n'ont rien fait pour la langue, c'est entendu, mais elle n'était pas menacée, en ce temps là, aussi implacablement qu'aujourd'hui. Et un grand nombre d'entre eux la parlaient, ce qui est encore la meilleure manière d'inciter le peuple à la conserver. Par ailleurs ils montrèrent souvent, et ce mérite n'est pas mince, un sens très averti du véritable intérêt de la nation. Toujours ils furent, envers et contre tous, les défenseurs acharnés de ces franchises qui nous paraissent à nous bien désuètes, mais qui, du moins, tant qu'elles vécurent, -c'est à dire pendant près de trois siècles,- ont servi de drapeau à l'antique idée nationale. Sans réserve, il faut louer nos anciens nobles du long effort qu'ils firent pour elles.
Mais leurs fils, dites moi, que sont-ils devenus ?... J'en aperçois une douzaine dans le mouvement breton . Et les autres ? qui me donnera des nouvelles des autres ?
Les autres ? Parbleu, ils sont morts. Morts à leur patrie, du moins. Car nous les voyons, -en d'autres champs hélas ! que dans ton champ abandonné, Bretagne- vivre, s'ébattre, et même grouiller.
Les autres font de la politique. Dans les soucis de ces héritiers magnifiques des preux d'Arthur, la conquete de l'Isoloir a éclipsé définitivement la recherche du Graal révéré. Les autres, o Nevenoé, sont sur le turf tout le jour. Quand ils ne font pas courir eux mêmes, ils regardent les chevaux d'autrui, et les jockeys d'autrui. Les autres sont au bal , à Pontcallec le Décollé ! au bal chez les Oppenheim et autres Ephrussi, et ils se donnent à leurs flirts un peu, beaucoup, passionnément, pendant que les violons pleurent sous la lune . O chouan Tinténiac, les autres sont courbés sur leurs terres, chez nous: mais ils ne lèvent point la tète, de peur d'apercevoir, en haut, trop douloureux pour leurs sensibilités frêles le visage ravagé de la Patrie. Les autres, o Hersart, - sans doute ont ils quelque courage encore - cherchent peut être une belle cause pour qui se battre: mais ils la cherchent hors de nos marches; mais ils ont oublié la devise celtique ou l'aïeul criait sa fierté, et ne savent même plus ce que veut dire leur propre nom.....
"Tout hommes est une addition de sa race", prononça Blanc de Saint-Bonnet. Inclinons nous. Mais si le terrible philosophe avait connu les nobles de Bretagne en son temps comme au notre, il nous plaît de croire qu'il eut ainsi complété son axiome : " Règle : Tout homme est une addition de sa race.-Exceptions : Les nobles de Bretagne en sont une soustraction."

Je reviens parfois en pensée, sur cette chartreuse d'Auray, ou souvent mes pas d'adolescent me conduisent. Non que je lui décerne quelque beauté, au morne monument dressé là-bas, et dont le style stupidement grec au coeur d'un paysage breton, doit faire jurer les chérubins. Mais de beaux souvenirs flottent sur cette lande, ou les martyrs dorment dans la gloire sous le l'oeil repentant de la Gaule... Je me rappelle aussi la vieille gardienne qui, le caveau ouvert, y descendait, au bout d'une corde, une lumière, pour nous faire voir les ossements.
Et je songe que le pauvre écrivain breton, qui s'adresse aujourd'hui à nos nobles, au nom, pourtant, de la Patrie, ressemble un peu à cette vieille, et qu'il est celui qui promène sa lanterne, en vain, dans la misère d'un charnier.

Allons, debout, cadavres ! Debout, charognes ! Ces noms que les sueurs et le sang de nos pères à tous ont rendus glorieux, ont sacrés historiques, est-il possible, quand la Bretagne ramasse le ban et l'arrière-ban, est-il tolérable qu'ils soient les seuls auxquels personne ne réponde : Présent ? Debout, squelettes ! Ce qui vous appelle, c'est la voix de la vie, c'est cette Voix de la bataille que vos chevaux eux même, autrefois, comprenait ! Sont ils morts deux fois vos ancêtres, morts dans leur tombe et morts en vous ? Debout ! Pred eo, pred eo : il est temps ! Voyez : les gueux sont là, - nous autres,- à votre porte, criant la grande détresse qui est au royaume de Bretagne, attendant des chefs pour continuer de tenir.
BLEIMOR.

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